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Sancho Pança : en avant, calme et droit | LETROT
Les champions du passé

Sancho Pança : en avant, calme et droit

15/07/2025 - PORTRAITS - SETF - Jacques Pauc
Partons à la découverte d’un champion qui aurait pu aussi atteindre le sommet si des ennuis de santé ne l’avait pas stoppé dans son ascension. Bien né et très doué, il se nomme Sancho Pança. Avec Joël Hallais, son entraineur-driver, il avait aligné dix-huit victoires consécutives en début de carrière ! Une carrière qu’il dut arrêter à la fin de sa sixième année, à cause d’un problème récurrent à un boulet.
Sancho Pança ©DR - Sancho Pança
©DR - Sancho Pança domine Rêve d'Udon dans le Prix de Sélection ©DR - Sancho Pança domine Rêve d'Udon dans le Prix de Sélection

UN CRITÉRIUM DES 4 ANS RESTÉ FAMEUX

Ce fut ensuite le Critérium des 4 ans, début mai, où Sancho Pança retrouvait Sabre d’Avril à poteau égal et partageait avec lui la position de favori. On devait assister à un match à deux resté fameux. « Avant ce classique, je l’avais travaillé un peu plus que d’habitude pour bien le préparer, se souvient l’homme de l’Écurie du Rib, et ‘’Sancho’’ n’était pas très souple. En plus, on avait attaqué très tôt, aux tribunes, avec Sabre d’Avril. J’avais dit alors à son driver Jean-Pierre Viel : ''Jean-Pierre, on va trop vite. On ne va pas aller au bout''. Il m’avait répondu : ''On va voir si ton cheval a de la tenue''. On avait pris trente mètres au peloton ! » « Dans la montée, on avait gardé cette avance. Je trottais en dehors de lui. Pour finir, ‘’Sancho’’ avait réussi à battre Sabre d’Avril au courage, en grignotant peu à peu l’avantage de son rival. Je dois dire que ce ne fut pas la meilleure course de ma carrière comme driver, reconnaît Joël Hallais. J’aurais dû me mettre derrière lui avais-je pensé après l’arrivée. Mais, il faut aussi savoir qu’à l’époque, mon cheval ne supportait pas les projections. C’est pourquoi, plus tard, je m’étais dit qu’il avait sans doute mieux fallu que je reste à l’extérieur de Sabre d’Avril."

Avec ce dixième succès obtenu en 1’16’’8 (2 775 mètres - GP), Sancho Pança pris la tête de sa promotion à son rival. À plus de 25 mètres d’eux se classaient Swing, Satan des Acres et Sin d’Algot. Ce mano a mano durant un tour de piste est resté dans les mémoires. Mais Sancho Pança avait souffert ce jour-là et "dut peu après être plâtré du sabot jusqu’au genou de l’antérieur gauche pour essayer de réparer son impact osseux. Il ne fut pas revu avant fin novembre".


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Sa réapparition eut lieu dans le Prix Octave Douesnel où le fils de Chambon P affrontait ses contemporains. Il ne devait pas trouver d’opposition, s’imposant devant Sabio et Sébrazac (rendant 25 mètres) sur le pied de 1’18’’9 (2 650 mètres - GP), répétant cette victoire un mois plus tard dans le Prix Marcel Laurent. Ce jour-là, il dominait nettement Sébrazac en 1’16’’5 (2 300 m. - GP).

IMPASSE SUR LE PRIX D’AMÉRIQUE

Sancho Pança allait entrer dans sa cinquième année. Plus fort que jamais, il devait continuer de marquer sa supériorité sur ceux de sa génération dans les Prix de Croix et Jean Le Gonidec. Dans le premier, il ne se laissa pas approcher par Steed James et Sabre d’Avril (rendant 25 mètres) et s’imposa en 1’18’’5 (2 775 m. - GP). Dans le second, il rendit aisément 25 mètres à Steed James en 1’19’’(2 675 m. - GP). Se posa alors à son entourage la question de savoir s’il devait ou non disputer le Prix d’Amérique. Même s’il était encore invaincu (en seize sorties) n’allait-il pas encore se révéler un peu « tendre » à 5 ans pour se mesurer à ses aînés et notamment à Ourasi alors à son zénith ?

Joël Hallais explique : "Sancho Pança étant fragile, je voulais avoir l’unanimité de ses propriétaires pour le courir. Or, je ne l’avais pas, certains ne voulant pas qu’il participe à ce Prix d’Amérique. Mais, si j’avais eu cette unanimité, j’aurais couru, car le cheval était bien. C’était même la seule année où il fut en bonne santé. On a donc fait l’impasse et Ourasi, qui faisait figure d’épouvantail, a été battu par Queila Gédé et Potin d’Amour… En voulant protéger Sancho Pança, on a donc raté cette occasion et il a « re-bougé » cette année-là. Je l’ai regretté ensuite ». Il est certain que Sancho Pança au meilleur de sa forme aurait eu son mot à dire pour la victoire dans ce Prix d’Amérique 1989.

D’ailleurs, peu après, le 19 février exactement, il allait le prouver en dominant largement le champion Rêve d’Udon dans le Prix de Sélection.. Un Rêve d’Udon qui devait terminer deuxième de Ténor de Baune dans le Prix d’Amérique 1990 et gagner le Championnat du Monde aux États-Unis. Ce fut de l’avis de Joël Hallais lui-même "la plus belle victoire de sa carrière, le jour où il m’a le plus impressionné". Il raconte : "Avec Rêve d’Udon on rendait 50 mètres et j’avais bien démarré, rejoignant les 4 ans assez vite. Rêve d’Udon était dans mon sillage, je sentais son souffle sur ma nuque. Yves Dreux me filait avec son cheval. Dans le dernier tournant, j’avais alors pris la décision de démarrer. Et Sancho Pança avait pris quinze mètres à son rival ! Celui-ci était certes revenu non loin de nous pour finir, mais mon cheval s’était détendu pour terminer et j’avais vraiment gagné facilement".

Après cette magnifique victoire en 1’15’’2 (2 325 m. - GP), Sancho Pança s'imposa un mois plus tard dans le Prix Ovide Moulinet (1’15 ‘’9 - 2 325 m. - GP), puis dans le Prix Robert Auvray (1’18’’6 - 2 675 m. - GP), rendant à chaque fois 25 mètres à Steed James. Il enchaîna par une autre victoire dans le Prix Henri Levesque (1’17’’1 -2 200 m.) devant Stirwen (le 25 avril), avant de connaître de nouveau un problème à son boulet et être absent des pistes pendant huit mois.

Sa rentrée eut lieu le 12 décembre 1989 dans le Prix Marcel Laurent où le champion devait subir sa première défaite, terminant nonplacé à distance du lauréat Tabac Blond. Joël Hallais revient sur cette course : "Je rendais 50 mètres et il faisait un temps épouvantable. Le cheval n’était pas non plus au top. Je n’aurais pas dû courir. À miparcours, je m’étais rendu compte que c’était mission impossible et j’avais baissé les mains. Je l’avais recouru un peu plus tard dans le Prix de Châteaudun et je venais gagner tout à la fin devant Quoglaise quand il s’enleva, passant le poteau au galop pour la première place ! Ensuite, il fut presque absent un an, car il souffrait. Il était fatigué et pas vraiment souple. Toute sa carrière, il a eu ainsi mal à son boulet et il avait fallu l’arrêter, le soigner et l’infiltrer".

Sancho Pança revint à la compétition presqu’un an après, le 18 novembre 1990 à Argentan, dans le Prix Paul Buquet, où il rendit victorieusement 50 mètres (1’18’’8 - 2 925 m.). Puis, on le revit à Vincennes où il défit Québir de Chenu dans la première épreuve préparatoire au Prix d’Amérique, le Prix de Bretagne en 1’17’’9 (2 775 m. - GP). Il enchaîna par une nouvelle victoire dans le Prix du Bourbonnais en 1’16’’2 (2 650 m.-GP), battant le champion Poroto (qui rendait 25 m.) et Québir de Chenu (6ème du Prix d’Amérique cet hiver-là). Mais le 23 décembre 1990, ce devait être la dernière course de Sancho Pança dans le Prix de Châteaudun. Il se retirait de la compétition par la grande porte en s’imposant (1’17’’3 - 2 800 m.- GP), comme il avait commencé sa carrière quatre ans auparavant.

Car, si on reparlait de lui pour le Prix d’Amérique 1991, Sancho Pança "tomba encore boiteux peu après et entra au haras". Après 22 victoires, en 24 courses, dont 18 consécutives lors ses 18 premières sorties (!), une nouvelle vie allait commencer pour lui. Mais, là aussi, il allait faire parler de lui comme nous allons le voir.

Joël Hallais résume au sujet de Sancho Pança : "Il avait une façon de trotter que je n’ai jamais revue depuis. Il pliait bien le genou et trottait dans son sillage mais de façon vraiment serrée. Car certains chevaux trottent dans leur sillage en écartant un peu les postérieurs, puis en refermant derrière eux. Lui non, il trottait vraiment dans son sillage. Il ne fallait donc pas qu’il ait mal à son antérieur gauche, sinon il se mettait sur un côté et n’était pas à l’aise. Mais, quand il était bien, il se baladait ! Au début, c’était un demi-ambleur. Alors je lui mettais un peu de poids mais, au bout de quatre ou cinq exercices, je lui enlevais et il devenait une machine à trotter. Sancho Pança n’avait rien sous les pieds alors, juste des petits fers à planche. Et il avait les qualités d’un cheval de guerre : en avant, calme et droit .

©DR - Sancho Pança et Joël Hallais ©DR - Sancho Pança et Joël Hallais

SANCHO PANÇA ÉTALON

Sancho Pança 1’15’’ entra au haras avec la confiance de Joël Hallais. Celui-ci le prouva en rachetant les parts de ses associés jusqu’à posséder 50 % du cheval. « Je ne voulais pas qu’il s’en aille de chez moi et je souhaitais le garder dans mon haras, justifie-t-il. Au départ, je n’avais pas eu les moyens de l’acheter pour moi. Cette fois, j’avais eu la possibilité de racheter des parts du cheval et je l’avais fait.  C’était une opportunité unique. Je croyais en lui, car il avait été doué tout de suite, avec une facilité à trotter exceptionnelle. Il avait aussi un très beau modèle et un bon pedigree. Cela faisait tout de même beaucoup d’atouts pour devenir un bon étalon (N.D.L.R. : en outre Sancho Pança est inbred (4x4) sur le chef de race Hernani III et sa sœur utérine Dona Sol)".


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De fait, Sancho Pança allait rapidement s’affirmer comme l’un des meilleurs sires du moment, devenant tête de liste des étalons en 1997 et se trouvant le plus souvent parmi les meilleurs reproducteurs. D’une longévité rare, il eut vingt-cinq années de production (des « D » aux « F ») ! Michèle Coubard, qui a repris l’exploitation de ses parents, en plus de son métier de dentiste équin, a fait naître l’un de ses rejetons, un "F" issu d’Ismutine 1’13’’. Joël Hallais participa bien sûr activement à le lancer comme étalon, voir Éclair de Vandel (Prix de Vincennes) et Elvis de Rossignol (Prix de l’Étoile), issus de sa deuxième année de monte. Suivirent les Fleur du Rib, Garda, Gentleman du Rib, Idéal Picard, Junior du Rib, Nady Royale, Or de Jade, etc. Et pour d’autres écuries les Dona Sol du Cadran, Envieuse, Kallighan, Milord Drill (Prix de Sélection), Rédeo Josselyn, Prince Gédé (Prix de Normandie et de Paris) entre autres firent briller le nom de leur père. Ce dernier est aussi le père de mère de Roxane Griff 1’10’’(Prix de Cornulier x 2) et Kazire de Guez 1’10’’(Prix des Ducs de Normandie).

Joël Hallais fait l’analyse suivante de la carrière d’étalon de son champion : "Sancho Pança était alors en concurrence avec les étalons franco-américains très à la mode. Sinon, je crois qu’il aurait pu être plusieurs fois tête de liste des étalons. De ses produits que j’ai entrainés, je dirais qu’il fallait les travailler régulièrement mais pas spécialement durement. Elvis de Rossignol avait son côté américain par sa mère (fille d’Arndon) et était plus ambleur que son père. ’’Sancho’’, lui, était demi-ambleur. Mais Elvis de Rossignol, lors des départs voltés, m’impressionnait par sa faculté à tomber sur le pied de 1’10’’ en quatre foulées ! Quant à Éclair de Vandel, c’était un cheval de grande classe. Malheureusement, il a eu un kyste osseux dans le pied qui a stoppé sa carrière, alors qu’il commençait à aller vraiment bien à l’attelage. L’avantage des produits de Sancho Pança est aussi qu’ils étaient faciles et cela permettait de les travailler et de les améliorer quand ils étaient un peu limités. C’était le côté Kerjacques de son origine. Je me souviens que, lorsque j’étais arrivé chez Alfred Lefèvre, je n’avais jamais entraîné de produits de Kerjacques avant. Chez M. Lefèvre, il y en avait un, âgé de 2 ans, qui ne montrait rien et je m’étais dit : ‘’C’est un âne’’. Un vieux professionnel m’avait alors répliqué : ‘’Non. Continues de le travailler et il sera bon à 3 et 4 ans’’. Et cela s’était révélé vrai !".

Après avoir passé sa carrière de reproducteur au haras du Ribardon chez Joël Hallais, Sancho Pança s'est éteint le 22 novembre 2015, à l'âge de 31 ans.


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