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Au pays des "Guez", de Quoumba à Joumba | LETROT
Reportage

Au pays des "Guez", de Quoumba à Joumba

19/01/2025 - GRAND FORMAT - 24H au Trot
Au-delà d’être populaire, le label "Guez" est une référence. C’est aussi l’histoire d’un entrepreneur qui ne fait jamais les choses à moitié. Venu par plaisir aux courses il y a près de quarante ans, René Guézille a construit non pas un empire mais une écurie performante avec près de 700 victoires, sous son propre nom ou celui de l’Écurie Vautors depuis les années 2010, et un haras où est stationnée la trentaine de poulinières, dont la championne Quoumba de Guez, la mère de Joumba de Guez, l’une des favorites du Prix de Cornulier dimanche. Reportage au pays des "Guez" aux confins de la Sarthe et de la Mayenne.
René et Julien Guézillle avec Quoumba de Guez - © J.-C. Briens René et Julien Guézillle avec Quoumba de Guez - © J.-C. Briens
À terme courant février, Quoumba de Guez est pleine d'Idao de Tillard À terme courant février, Quoumba de Guez est pleine d'Idao de Tillard

"Papa ne laisse jamais rien au hasard. Il s’interroge sur tout et ne cesse de se renseigner. Sans arrêt. C’est aussi grâce à cela qu’il a réussi dans ses autres métiers. À 72 ans, on ne va pas le changer. Il est toujours à fond. Il a ses convictions, mais il est toujours ouvert à la discussion. Il est inspirant", commente le fils, présent le plus souvent possible en parallèle de son activité dans l’immobilier, sur Angers, où il a pris la suite de son père à la tête des affaires familiales.

"Papa ne laisse jamais rien au hasard. Il s’interroge sur tout et ne cesse de se renseigner. C’est aussi grâce à cela qu’il a réussi dans ses autres métiers. Il est inspirant". (Julien Guézille)

"Je n’ai pas l’impression d’être à fond tout le temps. Ce sont mes proches que je trouve trop lents, répond du tac au tac René Guézille. C’est mon rythme. Sinon je m’ennuie. Il y a des gens qui prennent un vrai plaisir à lire, d’autres à écouter le ressac de la mer ou le chant des rouges-gorges à la campagne. Moi, j’ai tendance à bouger tout en écoutant le ressac de la mer ou le chant des rouges-gorges. Quand je suis en mer, je vais vite avoir envie d’aller plus loin. Et si je prends un poisson de cent grammes, je vais avoir envie d’en prendre un de cent cinquante grammes après et ainsi de suite. C’est pareil pour les courses."

Championne et mère de championne

Comme à la pêche, si l'on juge sur quelques photos des spécimens impressionnants de thons, René Guézille a été plutôt gâté dans les courses. Des trois millionnaires estampillés "Guez", avec Kazire de Guez (Udo de Touraine), disparu en 2008 un an après la fin de sa carrière sportive alors qu’il entamait sa troisième saison de monte, et Dorgos de Guez (Romcok de Guez), parti poursuivre sa carrière en Scandinavie, Quoumba de Guez (Urfist des Prés) occupe une place à part. Son empreinte va au-delà même de sa carrière, elle qui est pourtant multiple lauréate de Groupes II et III et placée de Groupes I dont le Prix de Paris durant l’hiver 2012-2013, où elle prit aussi le départ du Prix d’Amérique. C’est avec elle que Jean-Michel Bazire a été victime d’un AVC au cours de l’été 2012 à Enghien et c’est avec elle qu’il repassa le poteau en tête trois mois plus tard à Vincennes.


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À 21 ans, dans l’herbage qu’elle partage avec son inséparable copine Cidjie de Guez (Pomerol de Laumac), on la reconnaît immédiatement tant elle a gardé le même port de tête élégant. "Elle a conservé son caractère. Elle vient vous dire bonjour une fois et après c’est terminé", s’en amuse René Guézille. Depuis son herbage, elle pourrait presque surveiller dans un herbage voisin un imposant mâle par Face Time Bourbon, qui n'est autre qu'un de ses fils, nommé Neo de Guez.

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À un mois de son terme, alors qu’elle est pleine d’Idao De Tillard, la grande dame des "Guez" est naturellement l’objet de toutes les attentions. C’est encore plus vrai alors que se profile la grande échéance de l'hiver des "Guez" avec le Prix de Cornulier dont Joumba de Guez (Carat Williams), sa fille, est l’une des principales prétendantes. "Ce n’est que du bonheur de voir une fille de l’une de nos grandes juments à ce niveau. Ça donne un caractère encore plus fort, estime son éleveur-propriétaire que l'on dirige vers le jeu de la comparaison mère-fille. Elles sont de modèles un peu différents, mais se ressemblent en ce sens qu’elles viennent avec l’âge. Ce ne sont pas des chevaux précoces du tout." "Il y a une vraie similitude dans leur comportement, complète Julien Guézille. Même si elle s’amende, la fille est encore "verte" comme l’était à son âge sa mère."

"On ne se rend pas compte combien il est difficile de gagner un Groupe I à Vincennes. Même si on avait déjà gagné à ce niveau avec Kazire de Guez à Cagnes-sur-Mer et en Belgique, ça nous manquait." (René Guézille)

Avec la victoire de Joumba de Guez dans le Prix Jag de Bellouet-Cornulier Races Q1, au cours de l’hiver précédent, Quoumba de Guez a contribué à ce que la grande famille des "jaunes et verts" remporte son premier Groupe 1 à Vincennes. Le chaînon manquant jusqu’alors au cours de plus de trois décennies d'élevage. "On ne se rend pas compte combien il est difficile de gagner un Groupe 1 à Vincennes, insiste René Guézille. Même si on avait déjà gagné à ce niveau avec Kazire de Guez à Cagnes-sur-Mer et en Belgique, ça nous manquait."

Dimanche, une victoire dans le Prix de Cornulier serait encore un ton au-dessus de l'aveu même de l'intéressé : "Les Groupes 1 qui ont comptent le plus à mes yeux sont le Prix d’Amérique, le Prix de Cornulier et les Critériums. Mais l’expérience m’a appris que, dans les courses, rien n’était dit, rien n’était fait. On s’est juste donné les moyens d’essayer de réussir, avec les partenaires qu’il faut, à commencer par l’écurie Bazire. Quand vous avez une grosse concurrence comme cela s’annonce dans ce "Cornulier", certes vous avez une chance d’être dans les trois premiers à l’arrivée, mais vous avez face à vous trois, quatre, voire cinq, gros concurrents. Si victoire il y a, elle est alors plus forte à mon sens". Mais quand même, les "Guez" n'ont-ils pas cette année le cheval, l'entraîneur et le jockey pour dérocher le Graal ? "Oui, oui... Cela n’enlève pas que l'on a des adversaires qui ont des pointes de vitesse terribles", observe René Guézille.

Transmission et évolution

Sur les terres de Vautors où Joumba de Guez est appelée à rejoindre sa mère et à devenir à son tour poulinière pour transmettre ses gènes de championne, il est aussi question de transmission chez les hommes. "Au haras, il n’y a qu’un patron et le boss c’est mon père, même si on échange beaucoup, à commencer sur les choix de croisements de nos poulinières", rappelle Julien Guézille. Aujourd'hui, il en est ainsi. Mais, demain, qu'en sera-t-il ? "Les années passent. C’est une vérité avec laquelle il faut composer, admet René Guézille. C’est très compliqué de vivre longtemps dans le milieu de l’élevage de chevaux de courses. Il y a quarante ans, je ne m’imaginais pas du tout avoir un jour une telle structure. Julien va sans doute reprendre, mais il ne le fera pas de la même manière. Il le fera avec moins de chevaux, moins de poulinières."

"C’est très compliqué de vivre longtemps dans le milieu de l’élevage de chevaux de courses. Il y a quarante ans, je ne m’imaginais pas du tout avoir un jour une telle structure. Julien va sans doute reprendre, mais il ne le fera pas de la même manière. Il le fera avec moins de chevaux, moins de poulinières". (René Guézille)


Cette orientation est d'ores et déjà dans l'air du temps. René Guézille fait d'ailleurs le constat suivant : "Nous sommes arrivés à un stade où il faut absolument que nous diminuons notre effectif de poulinières mais aussi de chevaux car la team Bazire diminue gentiment le sien. Pour diminuer, soit on place nos chevaux chez d’autres entraîneurs mais la rentabilité dans les courses n’est absolument pas évidente, sinon cela se saurait, soit on vend. C’est vers cette seconde solution que nous nous dirigeons. C’est notre prochaine étape. Julien s’en occupe. Il est beaucoup plus vendeur que moi". Des juments pré-sélectionnées et leurs productions doivent être proposées sur le marché avec la difficulté dont les Guézille père et fils ont bien conscience que le marché des poulinières justement est très fermé à l'exception du haut de gamme.
C'est d'ailleurs dans cette démarche que plusieurs produits nés en 2024 (les "O") ont été nommés sans le label "Guez" et sont donc appelés à être mis sur le marché. C'est le cas du mâle par Booster Winner que Quoumba de Guez a mis au monde.


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À l'époque où l'élevage "Guez" n'était composé que de quelques poulinières, René Guézille reconnaissait pouvoir se permettre d'être un peu déficitaire. "C’était le plaisir des courses, des amis, etc. Aujourd’hui, il faut penser à la rentabilité. Quand vous perdez 500 € et non plus 100 € comme avant, c’est forcément plus compliqué, définit-il. J’ai toujours le même plaisir, mais il y a des éléments où le plaisir seul ne suffit plus. On va devoir vendre ou se séparer d'éléments. Il y aura une partie plaisir et une partie non pas business mais entretien pour payer les salaires des employés, car une structure comme la nôtre qui accueille aussi des chevaux de propriétaires en convalescence (N.D.L.R. : notamment des chevaux d'obstacle) ne peut pas tourner sans deux, voire trois salariés. Je dis toujours que tout plaisir est raisonnable par rapport à ses ressources."
Tout au long de ces années, René Guézille reconnaît avoir vécu "des moments extraordinaires avec les chevaux". Si le passage de flambeau se fera progressivement avec la jeune génération, "c'est-à-dire Julien et Nicolas (Bazire)", le "vieux sage", comme il s'appelle, ne sera jamais bien loin.

 

Vers un basculement en faveur des femelles
Au départ de l'édition 2024 du Prix de Cornulier, les femelles sont nettement majoritaires avec 13 des 18 partants. Alors faut-il s'attendre à ce que l'épreuve reine du monté soit remportée pour la neuvième fois depuis 2014 par une femelle ? C'est bien possible. Plus généralement, et depuis 2000, ce sont les arrivées (en prenant en compte les cinq premiers) du "Cornulier" qui se féminisent de plus en plus comme le montre le graphique ci-dessous où la tendance s'inverse clairement en leur faveur.

 


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