Rencontre
Élise Privat a trouvé son but
22/08/2025 - GRAND FORMAT - 24H au Trot
Ils sont jeunes et n’ont pas hésité à franchir le pas une fois leur licence d’entraîneur en poche en s’installant à leur propre compte. Pour un certain nombre d’entre eux, ce choix qui pourrait paraître audacieux est le plus souvent guidé par la volonté d’aller de l’avant et de travailler pour soi. C’est la démarche entreprise depuis bientôt deux ans par Élise Privat (25 ans). À la tête d’un petit effectif sur l’exploitation agricole familiale, à la sortie de Saint-Hilaire-du-Harcouët dans la Manche, qu’elle transforme petit à petit, elle ne ménage pas sa peine et ne compte pas davantage ses heures. Trois fois par semaine, elle fait même deux journées en une. Alors, sa première victoire le 25 juillet dans une réunion Premium avec Kalinka de Sée (Uzo Josselyn), à Cabourg, est à la fois une récompense et un encouragement à poursuivre dans la voie qu’elle s’est choisie. Rencontre.
Se donner un objectif
Après cette expérience dans le Sud-Ouest, Élise Privat se pose des questions sur son avenir, la distance avec sa famille lui pesant de plus en plus. "Je me suis cherchée. Je me suis même un peu perdue, confesse-t-elle. J’ai alors fait une saison de préparation des yearlings à l’Élevage de la Tour de Vandel (l’année des "K"), ce qui m’a beaucoup plu. À la suite de tout cela, je ne me voyais pas repartir à zéro dans une écurie. Je me suis même posé la question de savoir si j’allais continuer dans cette voie. Mais, après réflexion, je ne me voyais pas ailleurs qu’avec les chevaux. C’est à partir de là que j’ai commencé à faire les démarches pour m’installer sur l’exploitation familiale, mes parents étant proches de la retraite."
"Il fallait que j’aille de l’avant. C’est dans mon tempérament. J’avais besoin d’un but. Je l’ai trouvé dans ce projet et cette installation."
Elle a pris le temps de mûrir son projet. "Ça a été un tournant dans ma vie. Il fallait que j’aille de l’avant. C’est dans mon tempérament. J’avais besoin d’un but. Je l’ai trouvé dans ce projet et cette installation", affirme-t-elle. Encore faut-il apporter des transformations au site. "Si je n’avais pas eu la structure de mes parents, je ne me serais pas lancée. Là, il a fallu transformer un bâtiment de stockage en barn et créer une piste. Dans ces démarches administratives, notamment pour avoir des aides financières aussi bien de l’Europe que de la région, j’ai été très épaulée par ma mère." La piste ne va pourtant sortir de terre qu’un an après. "Je n’avais qu’une petite en terre pour les poulains qui n’était plus praticable quand il pleuvait beaucoup l’hiver. J’étais sans arrêt dans les transports. Je passais mon temps à embarquer et débarquer !"
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Longue d’environ 600 mètres en ligne droite avec du dénivelé, son tracé a été adapté à l’espace à disposition. "Il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter à la piste et trouver ma méthode. Il m’arrive toujours d’aller à Vire, à Villedieu-les-Poêles ou au Mont-Saint-Michel pour donner des parcours aux poulains. Mais cette piste a changé ma vie, apprécie-t-elle. Au niveau du coût, cela revenait aussi moins cher qu’une piste ronde de 1.000 mètres. Je préfère commencer petit, tout en ayant un outil de travail fonctionnel et adapté. Et puis, je ne voulais pas non plus m’endetter car on ne sait jamais dans ce métier comment cela peut évoluer. Je veux pouvoir m’endormir sans penser à la charge que représente un emprunt. Je ne veux pas que l’entraînement devienne une contrainte."
Kalinka de Sée, la jument idéale… ou presque
À son installation, Élise Privat, qui fait aussi du débourrage pour l’extérieur, ne peut compter que sur les quelques poulains de l’élevage familial, le label "des Yvets" qui ne compte toutefois que deux poulinières.
Rapidement, le destin va se charger de lui donner un coup de pouce. Daniel Aumont, éleveur installé à Brécey et connaissance de son père, apprend que la jeune femme vient de s’installer. "C’est grâce à lui que j’ai vraiment pu me lancer, car il m’a confié mes premiers chevaux, le remercie-t-elle. Il m’a appelée pour essayer une "L", Lolita de Sée, ce que j’ai fait. Je lui ai alors conseillé de la mettre quelque temps au repos avant de la reprendre au travail et je l’ai qualifiée en début de son année de 3 ans. Puis, il m’a demandé d’essayer la "K", Kalinka de Sée, la sœur aînée, avec laquelle son précédent entraîneur n’y arrivait pas (quatre courses, quatre disqualifications). Au travail, je sentais qu’elle avait un potentiel, mais elle avait besoin de soins. Les radios ont aussi montré qu’elle avait des bouts d’os dans les boulets dont elle a été opérée."
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L’été dernier, cette fille d’Uzo Josselyn remporte ses deux premiers succès, les deux premiers aussi de sa jeune entraîneur. "Elle a du caractère, ce qui explique ses disqualifications, relève Élise Privat. Elle s’est assagie mais reste spéciale. Heureusement, je m’entends bien avec elle. Quand je vais chercher les chevaux au paddock, c’est elle qui doit être la première à rentrer. Elle s’améliore avec l’âge et je pense que cela va continuer. Le temps joue pour elle." Cette appréciation repose aussi sur le fait que la marge de progression de Kalinka de Sée semble certaine. "Elle n’a été déferrée des quatre pieds pour la première fois que cette année, c’est-à-dire lors de sa saison de 5 ans, souligne son entraîneur. Elle n’est munie que d’un débouche-oreilles et n’a pas encore eu les œillères descendantes. C’est extra d’avoir une jument comme elle pour débuter." C’est un tout cas un soutien précieux dans la démarche de cette jeune femme bien décidée à percer dans ce milieu grâce à sa volonté et à son travail.
Daniel Aumont : "J’ai de l’admiration pour Élise"
Installé à Brécey,
Daniel Aumont est le premier à avoir fait confiance à Élise Privat alors qu’elle venait tout juste de s’installer.
"J’ai de l’admiration pour Élise. Elle est incroyable et sait ce qu'elle veut, confie l’éleveur-propriétaire de
Kalinka de Sée.
J’ai bien vu qu’elle était compétente et que je pouvais lui faire confiance. Pour un petit éleveur comme moi, gagner à Cabourg c’est formidable." Bercé dans sa jeunesse manchoise aux résultats des chevaux de l’élevage de Fernand Fillatre sous le label "de Sée", à commencer par
Espoir de Sée dans les années 1970 puis
Avenir de Sée, le vainqueur du Critérium des 5 Ans en 1993, Daniel Aumont, après une carrière en région parisienne, est revenu s’installer dans sa Manche d’origine et s’est lancé dans l’élevage.
"J’ai acheté une poulinière trotteuse à un ami de Félix Dalisson, l’éleveur d’Ouragan de Celland. Cette jument est devenue la grand-mère de "Kalinka" via sa fille Comtesse de Sée qui est une fille d’Ouragan de Celland. À l’époque, je suis allé voir M. Fillatre pour lui demander s’il m’autorisait à reprendre son appellation, ce qu’il a fait, raconte-t-il. Parfaitement remis de deux AVC survenus il y a sept ans -
"les premiers mots que j’ai dit à mon épouse après ont été : "J’ai fait comme Jean-Michel Bazire !"
" -, Daniel Aumont s'occupe au quotidien de ses chevaux :
J’ai l’habitude dire quand mes chevaux sont bien, je vais bien".
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