En face, ce n'est pas l'Amérique. C'est l'Angleterre. Entre le deux, la Mer du Nord rejoint la Manche. Bienvenue à Marck dans le Pas-de-Calais, où est basée l'Écurie du Damier. La chaleur humaine est ici une vertu et compense la froideur du climat. C'est ici que s'entraîne Justin Bold (Bold Eagle). Découverte d'un lieu, rencontre avec une équipe, écoute d'un patron.
Si la vie a donc décidé de le faire revenir sur ses terres natales, Jean-Rémi Delliaux a en revanche lui-même choisi d’y rester. Il a compris comment tirer le meilleur profit du site et donc, surtout, du sable naturel voisin : "Je peux affirmer que Justin n’en serait pas là sans la plage. Avec les pieds qui étaient les siens jeune, le sol que nous propose le littoral a été déterminant dans sa gestion. C’est vraiment l’élément clé dans l’épanouissement de ce cheval".
"Imagine toi, Jean-Pierre Dubois est venu chez nous pour savoir comme on travaille ! Ce n’est quand même pas croyable." Jean-Rémi Delliaux
Humble, le natif de Gravelines omet de parler de son propre travail et de celui de son équipe mais concède, sur demande, à nous expliquer sa méthode de travail : "Avec la plage, tout est question de dosage, c’est pourquoi je sors avec un GPS pour m’assurer d’être à la bonne vitesse. Car il ne faut jamais en faire trop, ni pas assez bien sûr. Mais surtout pas trop, d’autant qu’on pourrait se laisser griser par la vitesse et la qualité du sol". Tout ça, et certainement encore plus, Jean-Rémi Delliaux a pu l’expliquer à Jean-Pierre Dubois en personne, l’éleveur de Justin Bold, venu rendre visite à son ancien élève il y a quelques jours, "histoire d’en apprendre plus sur notre façon de travailler", explique notre hôte aux yeux encore emplis d’étoiles à l’idée de se remémorer cette visite comme papale : "Imagine toi, Jean-Pierre Dubois est venu chez nous pour savoir comme on travaille ! Ce n’est quand même pas croyable". Au point de se demander si pour la team Justin Bold, le vrai trophée du Prix d’Amérique n’était pas cette visite exceptionnelle…
Sur le même thème : Justin Bold ou le Nord à la fête
En ce matin de janvier
Sous un grand ciel bleu et alors que la température avait du mal à passer la barre des 5°C, les conditions sont optimales pour découvrir les lieux et réaliser le shooting-photos. "Ce n'est pas tous les jours comme ça, surtout en hiver ! C'est le vent qui est le plus difficile à supporter avec les basses températures et bien sûr l'humidité. Le tout réuni, il faut être né ici pour supporter. Comme moi... J'en ai connu qui sont venus quelques mois pour voir et tenter mais ils n'ont pas supporté", se rappelle amusé Jean-Rémi Delliaux.
Souvenirs des débuts de Justin Bold
"Au début, Justin Bold était incapable de prendre un virage corde à gauche. C’est pour ça qu’au début on est allé courir dans le Sud-Ouest à Agen ou Beaumont. D’ailleurs, mes collègues ne manquent pas de me rappeler souvent : « Ah c’est sûr, il pouvait gagner facilement à Agen celui-là ! » et puis à force, au fil du temps, avec des soins, grâce également au travail remarquable de son maréchal-ferrant Jean-François Denis, qui vient d’être sacré Meilleur Ouvrier de France, bravo à lui, et grâce à la mer, Justin Bold est devenu celui qu’il est devenu aujourd’hui."
Une belle équipe
Pour réussir, Éric Bée, le propriétaire de l'Écurie du Damier, s'est donné les moyens. Sept personnes travaillent sur le site auprès de la trentaine de pensionnaires stationnés ici, selon le principe d'un roulement avec les chevaux en préparation sur d'autres centres d'entraînement. Le schéma est classique : une équipe pour l'écurie de courses, une autre pour les poulains, Emilie Leleu dans un rôle mixte comprenant celui de dévoreuse de kilomètres au volant de son camion et Jean-Rémi Delliaux l'entraîneur. Au plus près de Justin Bold, une jeune femme, elle aussi du cru. Gaëlle Monard, 26 ans, à l'écurie depuis six ans : "Ça a tout de suite accroché avec lui. Je m’en suis occupé dés le premier jour. C’est un cheval très agréable à gérer au quotidien, il est vraiment très gentil. Je ne me rends pas vraiment compte de ce qui nous arrive : on va courir le Prix d’Amérique ! C’est une grande fierté et je suis très heureuse d’avoir la confiance de Monsieur Bée et de Jean-Rémi. J’ai failli pleurer rien qu’à l’idée de le savoir qualifié. Et le matin, quand je suis derrière à son sulky, je me dis quand même que c’est un truc de fou ! Je n’aurais jamais pensé en arriver là". Une femme-clé comme l'est Emilie Leleu : "Emilie fait partie intégrante de la réussite de l’écurie. C’est elle qui prend le volant de son camion pour traverser la France et aller courir jusqu’à Cagnes ou Toulouse, et pour nous, l’expression "traverser la France entière" n’est pas qu’une expression, c’est une réalité". Dimanche, Emilie assistera pour la première fois de sa vie à un Prix d’Amérique en direct de Vincennes. Émotions garanties.
Quant aux voisins, ce sont les chasseurs de canards qui peuvent officier du coucher au lever du soleil...
"On cohabite avec les chasseurs. Il y a plus de 200 huttes qui permettent de chasser le canard. Les coups de fusil ? C’est une habitude à prendre, aussi bien pour les hommes que pour les chevaux mais je préfère quand même leur boucher les oreilles."
Sur le même thème : Justin Bold : Un "Bold Eagle" peut en cacher un autre
Les plages françaises, lieux historiques de préparation des champions
Ce sont des images qui font partie de la mémoire collective. Un cheval sur la plage lancé à pleine vitesse, le bruit des sabots qui frappent le sable, le bleu de la mer en toile de fond. C'est bien connu, historiquement, la plage a toujours la grande alliée des "Américains".
Hippiquement parlant, les références ne manquent pas, les souvenirs non plus. L'une des images les plus iconiques restant celle d'Idéal du Gazeau sur le littoral manchois, avec Eugène Lefevre à son sulky. "L’œil intelligent, Idéal du Gazeau, généreux, jamais malade, a toutes les aptitudes d’un vrai champion International. Malgré sa petite taille, son pied fragile et ses origines modestes, ce petit cheval noir aux bandages bleus, acheté une poignée d’avoine, a su sortir de l’ombre et devenir la plus grande star de l’histoire des courses. Le trotteur le plus riche du monde par ses gains comme par son palmarès faisait le bonheur des turfistes et l’admiration du public. Pour Eugène Lefèvre, son driver, et Marcel Ernault, son lad, il aimait les longues promenades relaxes sur la plage de Saint-Jean-le-Thomas qu’il a rendu célèbre" écrivait ainsi Pierrette Brès à l'époque. Plus récemment, les plages manchoises ont vu les crackes des années 2000 Général du Pommeau et Jag de Bellouet eux aussi parfaire leur condition en vue du championnat du monde du trot. Les films diffusés en très léger différé sur la chaîne des courses Equidia remplaçaient alors les photos. Le roi Ready Cash était quant à lui passé par les plages de Cabourg et Deauville (en photo ci-contre dans le dos de Thierry Duvaldestin / en dessous, Idéal du Gazeau, Général du Pommeau et Jag de Bellouet).
La plage a toujours la grande alliée des "Américains".
Justin Bold à la plage
Jean-Rémi Delliaux : "On travaille surtout le fond, l'endurance. On fait de la vitesse très rarement et en se rapprochant plus du bord de mer. Un matin comme aujourd'hui (jeudi de la semaine dernière), on va faire trois fois 2.400m. en accélérant une fois. En mode récupération, Justin Bold est monté et là on rentre dans la mer jusqu'aux épaules du cheval, ça lui fait un bien fou".
Eric Bee, le boss
On a découvert le théâtre, puis les musiciens, place au chef d’orchestre. Eric Bée a réussi dans les affaires. Cela se voit au premier coup d’œil, au premier échange, à la première sensation. Ce souci permanent du détail, cette volonté prégnante de ne rien laisser au hasard, ce dynamisme qui frôle parfois l’hyperactivité. Tout en exposant sa vision, il ne manque pas pour autant de mettre ses hôtes à l’aise, bottes aux pieds et bonnet aux couleurs du Prix d’Amérique (quand on vous dit qu’il ne laisse rien au hasard) sur la tête. Le patron d'une entreprise de recyclage de déchets (Astradec) comptant 300 salariés nous explique ses projets d’avenir pour le site au détour d'autres questions-remarques : "On va faire un nouveau barn ici et puis des paddocks par là, Daniel, comment il va poulain-là, et toi, Justin, il t’a plus dans le Bourgogne ?" Ça fuse. "Bon, j’ai réservé une table pour 13h. Manu déjeunera avec nous."
Sur le même thème : Rentrée gagnante de Justin Bold
Fort d’une politique d’achat ambitieuse, que d’aucuns ont jugé audacieuse, alors qu’elle s’avère aujourd’hui judicieuse.
Manu, c’est Emmanuel Biallais, manager de l’écurie et conseiller personnel d’Eric Bée. Homme de cheval, homme de terrain, il est un rouage incontournable de la réussite de l’écurie du Damier.
Car bien que le boss, certainement inspiré notamment par Jean-Pierre Dubois, revendique en permanence "d’être un petit" sa structure a connu en l’espace de six ans seulement une envolée exceptionnelle. Fort d’une politique d’achat ambitieuse, que d’aucuns ont jugé audacieuse, alors qu’elle s’avère aujourd’hui judicieuse, l’écurie d’Eric Bée a trouvé justement chez Jean-Pierre Dubois mais aussi chez Arqana Trot la matière première constituante d’une réelle réussite. Justin Bold, acquis 105.000 € alors qu’il n’avait jamais gagné en est bien sûr la meilleure illustration, mais Kotkie (134.360 € de gains) est un autre exemple. Alors, puisqu’il est question d’ambition, quelle est elle pour dimanche dans l’Amérique ? Eric Bée espère finir sur le podium, Jean-Rémi Delliaux serait heureux de termine à l’une des cinq premières places. Question de personnalité.